Butch et le Rocket se sont battus pour 500$

«La mort de papa n’est pas une grande surprise. Toutefois, il n’est pas mort à la suite d’une longue maladie comme on l’a laissé entendre. Je dirai plutôt qu’il est mort à la suite d’une très longue vie», déclarait Pierre Bouchard, quelques heures après le décès de son père.

«Il s’est cassé une hanche il y a trois ans et il avait besoin de soins particuliers. Il vivait donc seul dans une résidence pour personnes âgées sur la Rive-Sud, mais il a été conscient jusqu’à la fin. Il regardait la télévision et lisait ses journaux pour avoir toutes les nouvelles».

Pierre et Butch Bouchard

Pierre Bouchard en compagnie de son illustre papa. Ils ont tous les deux porté fièrement les couleurs du Canadien. Ensemble, ils ont gagné neuf coupes Stanley.

Émile «Butch» Bouchard était le plus vieux capitaine du Canadien encore vivant. Des joueurs de son époque, il ne reste plus qu’Elmer Lach, fêté en même temps que lui lors des cérémonies du 100e anniversaire, et Bob Fillion, un ancien ailier droit qui fréquente souvent le salon des Anciens Canadiens.

On pense aussi à  Milt Schmidt, un ancien joueur étoile des Bruins qui vit toujours dans la région de Boston.

LES ÉTUDES D’ABORD

Pierre Bouchard a vu jouer son célèbre papa au début des années 1950, mais il était alors trop jeune pour s’en rappeler.

«J’allais souvent dans le vestiaire avec lui, précise-t-il. Tous les joueurs du Canadien étaient mes idoles, même Callum McKay! C’est évident que papa a été pour moi une source d’inspiration même s’il ne m’a jamais poussé à devenir joueur de hockey.

«Il insistait beaucoup sur les études, sans doute parce qu’il n’avait pas eu la chance de fréquenter l’école très longtemps. C’est ainsi que je me suis retrouvé au Collège Laval où j’ai commencé à jouer au hockey sous les ordres de Roland Bleau. Nous avions une très bonne équipe junior B. Tellement que quatre de nos joueurs (Marc Tardif, Pierre Jarry, Jean-Guy Lagacé et moi-même) ont fini par jouer dans la Ligue nationale».

Gros Pierre a ensuite porté les couleurs du National Junior et il a joué pour le Canadien Junior pendant deux ans avant d’être réclamé par le grand club. Il a plus tard connu une belle carrière avec le Tricolore et il a participé à cinq conquêtes de la coupe Stanley sous la gouverne d’Al MacNeil et de l’unique William (Scotty) Bowman.

LA GRÈVE AVEC LE ROCKET

Parfaitement conscient du fait que le hockey était un business et qu’il devait préparer son après-carrière, Butch Bouchard a ouvert un restaurant sur le boulevard de Maisonneuve en 1948. L’aventure a duré 32 ans.

«À sa façon, papa a été avant-gardiste, note Pierre Bouchard. Il s’est blessé sérieusement à un genou en 1948 et ça l’a incité à se lancer en affaires. Peut-être que ça ne faisait pas l’affaire des dirigeants du Canadien, mais il a tenu son bout. Il a vendu son auto, il a emprunté de l’argent et il a foncé.

«Si je me souviens bien, son plus gros salaire avec le Canadien a été de 15 000$. Une fois, il a fait la grève durant quelques heures avec Maurice Richard pour obtenir une augmentation de salaire de 500 dollars. Ils ont dû se battre avec Tom Gorman et avec le sénateur Donat Raymond avant d’obtenir gain de cause. Les joueurs étaient alors à la merci des propriétaires.

«Après sa dernière saison avec le Canadien, papa est allé voir Frank Selke pour obtenir son boni de 1000$. Ce dernier lui a répondu que l’équipe venait de connaître une excellente saison, mais pas lui! Mon père a donc quitté l’équipe en mauvais termes. Il est resté partisan du Canadien jusqu’à sa mort, mais il ne portait pas M. Selke dans son coeur».

LA DÉCHIRURE

En 1978, quelques mois après avoir perdu son fameux combat contre Stan Jonathan au Garden de Boston, Pierre Bouchard a été laissé sans protection par le Canadien et il a été réclamé par les Capitals de Washington où il a terminé sa carrière dans la LNH.

«J’ai failli être échangé aux Kings de Los Angeles en compagnie de Murray Wilson, mais ça n’a pas marché et j’ai finalement été réclamé par les Capitals, précise-t-il. Ce que je n’ai pas aimé dans cette histoire, c’est qu’on ait manqué de respect à mon endroit. Si on m’avait fait venir dans le bureau pour m’expliquer la situation, j’aurais compris. Il y a eu un gros manque de communications dans cette affaire».

Son père en a voulu à la direction du Canadien. Il y a même eu un froid entre lui et Jean Béliveau, alors vice-président du club. Toutefois, le temps arrange les choses et Butch a toujours eu le plus grand respect pour celui qui allait suivre ses traces dans le rôle de capitaine.